Mesurer son empreinte carbone devrait devenir, à court ou moyen terme, une pratique courante pour les entreprises et les autres organisations (associations, collectivités territoriales) mais également pour les particuliers.
En réalisant son bilan carbone®, une société ou un individu peut identifier et quantifier les émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par son activité, avant d’en déduire les actions à mettre en œuvre pour maîtriser voire réduire son impact carbone. Pour rappel, les engagements internationaux tels que l’Accord de Paris (COP 21 de 2015), visent à limiter l’ampleur du réchauffement climatique, dont les conséquences – vagues de chaleur plus fréquentes et plus intenses, hausse du niveau des mers et océans, etc. – menacent les conditions de vie des sociétés humaines et des autres êtres vivants sur Terre[1].
Si certaines activités émettrices de GES sont régulièrement citées dans les médias (consommation d’énergie, transports), penchons-nous sur un poste d’émissions moins évoqué : les achats, et notamment les achats de biens tangibles (les produits physiques), que nous distinguons des services (les prestations intangibles).
Pour commencer, définissons clairement le périmètre concerné par l’empreinte carbone des achats.
Au sens du « bilan carbone® », la méthode de référence développée au sein de l’ADEME au début des années 2000, calculer l’empreinte carbone des achats d’une organisation (entreprise, collectivité territoriale, association, etc.) consiste à mesurer les émissions GES générées par la phase de fabrication des produits (ou services) achetés qui seront consommés dans l’année. On peut citer, à titre d’exemple, les ramettes de papier pour les impressions au bureau ou le cuivre utilisé dans le processus de production d’un fabricant de tuyaux métalliques.
L’empreinte carbone des achats au sens de la méthode bilan carbone® se limite donc à :
Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’empreinte carbone des déchets issus des biens achetés (exemple : que deviennent les chutes de tissu qui ne sont pas utilisées par un fabricant textile ?).
En décomposant la phase de fabrication d’un bien tangible, la méthodologie règlementaire de calcul du bilan GES distingue les étapes suivantes[2] :
Au-delà de l’étape de fabrication détaillée précédemment, l’empreinte carbone totale d’un bien physique se mesure à l’aune de son cycle de vie, de l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie.
On distingue généralement 5 grandes étapes du cycle de vie d’un produit : l’extraction des matières premières, la fabrication, la distribution (transport jusqu’au client / utilisateur), l’utilisation et la fin de vie.
L’analyse du cycle de vie consiste précisément à évaluer tous les différents impacts environnementaux d’un produit ou d’un service (impact sur le climat, impact sur les ressources naturelles, impact sur l’eau, etc.).
Les étapes du cycle de vie d’un produit
Voici un exemple de la répartition des émissions de gaz à effet de serre générées sur l’ensemble du cycle de vie d’un smartphone (iPhone 14 Pro), d’après les données communiquées par Apple. On constate que la production pèse pour 80% de l’empreinte carbone du produit, contre 15% pour la phase d’utilisation.
Les achats représentent une part significative des émissions de gaz à effet de serre des individus comme des entreprises.
En France, Carbone4, le cabinet de conseil de référence sur les enjeux énergie et climat, a décomposé l’empreinte carbone moyenne d’un Français et met en évidence la part liée aux achats : 1,6 tonne de CO2e sur une empreinte totale de 9,9 tonnes CO2e, soit 16% de l’empreinte qui provient des achats (articles pour la maison, électronique, vêtements, etc.). Ce chiffre (1,6 tonne CO2e) ne couvre pas les achats liés à l’alimentation ou encore aux dépenses liées aux services publics (administration, enseignement, culture, etc.).
Concernant les entreprises, comme le montre une étude du Carbone Disclosure Project (CDP)[3], le scope 3 (qui comprend les émissions de GES de la chaîne amont / fournisseurs et aval / clients) peut représenter plus de 90% du bilan carbone des sociétés de certains secteurs d’activité (services financiers, construction, transport).
Au sein du scope 3, les émissions de gaz à effet de serre générées par les achats pèsent en moyenne 20% de l’empreinte carbone des entreprises, mais ce chiffre peut grimper beaucoup plus haut pour certaines activités (44% pour la chimie, 63% pour l’agriculture, 67% pour le secteur alimentation, boissons et tabac).
Exemple du secteur de la chimie (décomposition des émissions de GES du scope 3)
Au-delà de la mesure de l’empreinte carbone de leurs achats, les entreprises disposent de différents leviers pour maîtriser voire réduire ces émissions de GES.
De toute évidence, la première façon de limiter l’empreinte carbone de ses achats est simplement de…réduire ses achats en évitant les commandes superflues. Si cette option peut sembler radicale à première vue, elle a néanmoins le mérite d’interroger les décisions d’achats et de s’assurer que ces derniers sont indispensables pour la bonne marche des opérations. Chaque organisation est ensuite libre de fixer le curseur au niveau qui lui convient pour différencier l’indispensable du superflu.
L’essentiel est d’être conscient que chaque achat est associé à une empreinte carbone.
Une autre option consiste à orienter ses achats vers des biens dont la production a émis moins de gaz à effet de serre que d’autres produits similaires. Cependant, l’absence de données carbone pour certains produits entrave l’intégration de ce critère de décision dans le cahier des charges des acheteurs. La tendance générale devrait toutefois conduire à une mise en avant des produits les moins intensifs en carbone dans les années à venir.
Comme le montre le tableau ci-dessous détaillant l’empreinte carbone de plusieurs smartphones, on note par exemple que la capacité de stockage d’un iPhone influe significativement sur les émissions de gaz à effet de serre générées par sa fabrication (du simple au double entre 128 GB de stockage et 1TB).
Critères d’analyse des fournisseurs intégrant la dimension « empreinte carbone »
Une autre solution consiste à choisir des biens reconditionnés (« seconde main »).
La logique est la suivante : quand on observe l’empreinte carbone d’un objet sur toute sa durée de vie (cradle-to-grave, ou « du berceau à la tombe »), une part significative des émissions GES provient de la phase de fabrication (extraction des matières premières, transformation & assemblage). Ainsi, en retardant l’achat de produits neufs, on évite la fabrication de ces produits neufs et donc les émissions de gaz à effet de serre générées par cette phase de fabrication.
La phase de distribution du produit, entre le fournisseur et son client, est aussi un levier à étudier pour réduire l’empreinte carbone du produit mesurée sur l’ensemble de son cycle de vie.
Les options les plus évidentes sont :
Au-delà d’une éventuelle – et parfois difficile – réduction des achats, on peut réduire son empreinte carbone en allongeant la durée de vie des objets utilisés, toujours dans l’idée de retarder l’achat de matériels neufs (même logique que pour l’achat de matériel reconditionné).
Si l’on garde l’exemple du smartphone, on constate qu’en allongeant de 2 ans la durée d’utilisation du terminal au lieu d’en acheter un neuf, on évite l’émissions de 16 kg CO2e (d’après une étude de l’ADEME[4]). Ce prolongement de la durée de vie est généralement possible grâce à la réparation ou au reconditionnement des objets existants.
Allongement de la durée d’usage des smartphones et impact climatique associé
Quand un produit est hors d’usage, plusieurs options permettent également de limiter l’empreinte carbone de sa fin de vie, comme le recyclage, la réutilisation ou encore la valorisation énergétique[5].
Les achats de biens tangibles sont une source d’émissions de gaz à effet de serre non négligeable, notamment liées à l’étape de fabrication qui consomme matières premières et énergie pour transformer les matériaux et assembler les produits.
La prise en compte de cette empreinte carbone dans la stratégie et le reporting des entreprises se normalise progressivement et devient un enjeu de différenciation et de compétitivité, dans le cadre d’une règlementation qui favorise de plus en plus les produits bas carbone (obligations d’afficher un indice de réparabilité voire un score carbone sur les produits, etc.).
La comptabilité carbone gagne du terrain et ne peut plus être ignorée par les décideurs.
Sources :
[1] https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WG1_SPM_French.pdf
[2] https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/methodo_BEGES_decli_07.pdf
[3] https://cdn.cdp.net/cdp-production/cms/guidance_docs/pdfs/000/003/504/original/CDP-technical-note-scope-3-relevance-by-sector.pdf?1649687608
[4] Modélisation et évaluation environnementale de produits de consommation et biens d'équipement, ADEME, 2020
[5] https://www.senat.fr/rap/o98-415/o98-4152.html#:~:text=La%20valorisation%20s'effectue%20par,en%20faire%20des%20bouteilles%20neuves.