Le Mécanisme d’Ajustement Carboneaux Frontières est une nouvelle réglementation qui a pour but d’équilibrer les conditions de concurrence entre les industriels européens qui paient un quota carbone et les producteurs installés en dehors de l’Europe qui ne le paie pas (notre article de présentation du MACF). Ce dispositif vise précisément à lutter contre les fuites de carbone. Son champ d’application couvre 6 secteurs :
Mais pourquoi ces secteurs d’activité-là et pas d’autres ?
La réponse réside dans le fait que le MACF soit couplé avec le marché européen des quotas d’émissions (Système d’Échange des Quotas d’Émissions, ou EU ETS en anglais). Ce marché carbone permet la régulation des émissions des entreprises européennes grâce à un système de plafonnement et d’échange de droits à émettre des gaz à effet de serre (les quotas d’émissions). Celui-ci couvre actuellement près de 40% des émissions totales del’U.E.
Le système européen d’échange des quotas s’attaque aux « gaz à effet de serre provenant d'activités spécifiques, en se concentrant sur les émissions qui peuvent être mesurées, déclarées et vérifiées avec un haut niveau de précision » (Commission Européenne).
Néanmoins, certaines activités concernées par le marché européen ne sont pas couvertes par le MACF, comme l’illustre le tableau ci-dessous.
Les secteurs couverts par le MACF sont pour l’instant limités aux plus émetteurs. Cette liste pourrait s’étendre à d’autres industries après l’instauration complète du mécanisme, à partir de 2026. On peut se demander pourquoi ce mécanisme ne s’applique pas à certains secteurs du marché carbone européen (SEQE) ou à d’autres secteurs (hors SEQE) comme le textile ou les cosmétiques.
On remarque par exemple que le plastique, responsable de 3.4% des émissions mondiales en 2019 (OCDE), n’est pas inclus dans le MACF.
Les secteurs peu émetteurs de carbone ne sont pas couverts par l’EU ETS
Plusieurs arguments peuvent expliquer l’absence de certaines industries du champ d’application du SEQE. Ainsi les secteurs peu émetteurs semblent être exclus du périmètre du marché carbone. On peut par exemple citer le secteur des cosmétiques, qui représenterait entre 0.5 et 1.5% des émissions mondiales, une part significativement plus faible que celle attribuée à des industries lourdes (métaux, ciment, etc.).
Par ailleurs, le marché des quotas d’émission s’attaque aux émissions provenant de la phase de production.Or on observe que les différentes étapes du cycle de vie des produits cosmétiques n’ont pas le même impact environnemental. Les émissions carbone proviennent en effet principalement de l’emballage des produits (couverts par le SEQE via les secteurs plastique et/ou papier et carton) et de leur utilisation. La phase de production, consommation d’énergie comprise, représenterait au maximum 5% des émissions totales (Quantis, Make Up The Future). On comprend donc que le SEQE (et donc le MACF), qui se concentre historiquement sur les émissions générées par la phase de fabrication (aviation et transport maritime mis à part), ne soit pas l’outil le plus adapté pour réguler les émissions carbone de ce secteur.
Certaines industries très compétitives pourraient également bénéficier d’une sorte de protection : on évite de les désavantager par rapport à des concurrents non européens qui ne sont pas soumis à une tarification carbone.
C’est le cas par exemple du transport maritime qui était totalement exclu du SEQE avant d’y être partiellement intégré depuis 2024. Les voyages au départ ou à destination d’un pays tiers sont ainsi couverts à hauteur de 50% des émissions, les voyages intra-U.E. (porte de départ et d’arrivée situés dans l’U.E.) étant quant à eux couverts à 100%. Peu de pays imposant un prix carbone au transport maritime, l’Union Européenne ne l’avait pas inclus dans le SEQE pour éviter de pénaliser les acteurs européens.
Une autre raison peut aussi être avancée pour expliquer le fait que de certains secteurs ne soient pas couverts par le SEQE et le MACF : la difficulté pour mesurer précisément les émissions carbone associées à la phase de production.
Le textile est un bon exemple :il représente une part significative des émissions carbone (jusqu’à 10% des émissions mondiales selon les chiffres les plus élevés) mais celles générées par la phase de fabrication sont plus complexes à mesurer. Or, la précision de la mesure des émissions est un des critères principaux du marché carbone européen.
La difficulté de la mesure carbone du secteur textile s’explique par les nombreuses étapes et la diversité des acteurs impliqués dans la phase de fabrication des articles, comme l’illustre le schéma ci-dessous. Par exemple, pour la confection d’un manteau 100% coton en Asie, la transformation du produit, après récupération des matières premières, représente 50 % des émissions du cycle de vie du vêtement. De plus, la phase de transformation de la matière première est divisée en 4 différentes étapes (filature, tissage, ennoblissement, confection), ayant souvent lieu dans plusieurs pays, ce qui multiplie les phases de transport intermédiaires et le nombre d’interlocuteurs auprès desquels récupérer les données d’émissions.
Certaines industries - cosmétiques et textile par exemple - sont par ailleurs concernées par d’autres normes environnementales(hors SEQE) visant, entre autres, à réguler les émissions carbone. C’est par exemple le cas de la loi AGEC enFrance. La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire a pour but d’accompagner le changement des modes de production et de consommation pour réduire l’impact environnemental de notre société.
La loi AGEC vise ainsi à limiter les déchets et leurs conséquences néfastes sur la biodiversité et le climat.Cette politique devrait faire diminuer les émissions carbone de différentes activités en imposant la fin du plastique jetable, l’amélioration de l’information des consommateurs (ex : indice de réparabilité), le réemploi solidaire ou encore en luttant contre l’obsolescence programmée.
Un autre règlement européen (2023/1115)visant à limiter la déforestation a été récemment publié au Journal officiel del’U.E en 2023. Le règlement interdira la mise sur le marché ou l’exportation de produits dont la production a contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts après le 31 décembre 2020 (Ministère de la Transition écologique…). Des secteurs aussi variés que le cacao, le caoutchouc ou encore les meubles en bois sont directement impactés par cette nouvelle norme environnementale. En aidant à préserver les forêts, cette norme européenne s’inscrit aussi plus largement dans la lutte contre le réchauffement climatique : en combattant la déforestation, on protège les capacités de stockage naturel du carbone et on contribue à l’atteinte de la neutralité carbone.
Les secteurs couverts par le MACF sont par définition des secteurs déjà couverts par le marché carbone européen(SEQE). Ces secteurs ont été sélectionnés car ils représentent une part importante des émissions mondiales et que le calcul de ces émissions peut être fait avec précision.
Les industries à forte consommation énergétique (comprise dans le tableau SEQE U.E.) génèrent 22 %des émissions de l’Union Européenne en 2019 (Commission Européenne). Selon la World Steel Association, en 2020, les émissions liées à la production d’acier correspondaient à 7% à 9% des émissions mondiales deCO2. La production de ciment représenterait quant à elle 7% des émissions mondiales annuelles de CO2d’après la GCCA (Global Cement and Concrete Association).
Les secteurs les plus énergivores sont généralement très émetteurs de carbone : que ce soit par l’utilisation directe de combustibles fossiles (gaz, etc.) ou la consommation d’électricité très carbonée, comme c’est par exemple le cas en Chine où le charbon joue un rôle central dans la production électrique.
Enfin, il faudra surveiller la liste des secteurs couverts par le MACF car de nouvelles industries pourraient être intégrées dans les prochaines années, telles que le plastique ou le verre.